Les conseils du 8ème dan Ogura Noboru sur le Iaido: de la maîtrise technique au développement spirituel

Ogura sensei

Gesi est un de mes amis belges. Il a 71 ans et a survécu au cancer. Il possède deux ceintures noires en Judo et en Iaido où il est 5ème dan.

Le professur de Gesi est Ogura Noboru Sensei: 8ème dan en Iaido, 7ème dan en Kendo Kyoshi, et consultant pour la All Japan Kendo Federation. Bien que Gesi soit un grand fan de la culture japonaise, sa maîtrise de la langue japonaise est relativement limitée, et donc, dès qu’il écrit un poème ou une lettre pour son Sensei, il me demande de la traduire. C’est ainsi qu’il m’a été donné de connaître Ogura Sensei depuis plus de 7 ans, via correspondance.

Cette année, j’ai eu la chance de rencontrer Ogura Sensei en personne pour la première fois. C’était à Versailles, près de Paris. Malgré ses achèvements remarquables, il est une personne humble, polie et enjouée. Energiquement, et pendant les trois jours consécutifs de la rencontre de Versailles, il a enseigné donnant des explications détaillées et faisant de temps à autres des commentaires humoristiques, mais jamais blessants.

Il est, sans l’ombre d’un doute, un grand pratiquant de Iaido et un excellent professeur, mais en parlant avec lui, j’ai également pu me rendre compte qu’il un philosophe sage et averti. Ce qu’il m’a dit était à la fois si simple et profond, et pourtant (et regrettablement), il n’est pas simple de le traduire. Durant les conversations avec lui, je me suis souvent sentie "mottainai" c’est-à-dire un peu coupable de garder pour moi tout ce que j’entendais, aussi je me suis dit que je ferais mieux de traduire et de partager ces enseignements avec d’autres.

Pour Ogura Sensei, celles et ceux qui quittent le Iaido à la suite d’un échec lors d’un examen de passage de grade poursuivent peut-être un mauvais objectif. Bien sûr, il est crucial pour les disciples de travailler dur, en essayant de gagner la maîtrise des mouvements physiques et de passer les grades, mais le Iaido est bien plus qu’une suite de compétences techniques, me fait-il remarquer. Dit simplement, la valeur essentielle et fondamentale du Iaido est avant tout dans le développement personnel afin de devenir un être meilleur, ce qui implique un engagement au quotidien, de l’ardeur et de la persévérance. L’essence du Iaido, c’est-à-dire l’esprit du mononofu (qui signifie "tout ce qui a un rapport avec être un samurai”), c’est d’acquérir un esprit harmonieux et d’apprendre le respect et la considération envers les autres.

De plus, j’ai été impressionnée par sa parfaite connaissance de tous les fonctionnements physiologiques de l’homme et par ses capacités de perception kinesthésique. Il m’a dit contrôler son sabre avec le grip de ses empreintes digitales qui par design sont naturellement antidérapantes, et qu’en plus c’était principalement les petits doigts auriculaires (principalement le droit) qui donnent la dynamique des mouvements. Les pratiquants de bujutsu doivent déjà savoir toutes ces choses mais, pour moi, c’était nouveau et très intéressant.

Au moment où je m’apprêtais à m’en aller, Ogura Sensei m’a donné une copie de son article paru dans le magazine mensuel Kendo Jidai, pp. 63-65, juillet 2009. A la demande de l’éditeur Taiku to Sports Shuppansha, il a écrit quelques conseils en tant que membre de la Commission d’Examen des Passages de Grades. Dans l’introduction, on peut y lire: "Il m’est très douloureux d’écrire des commentaires de cette nature tant je suis encore vert et inexpérimenté parmi tous les autres membres ayant tant d’expérience du domaine" (en anglais, "It greatly pains me to write this kind of comments since I am still green and inexperienced, with the presence of other great members of experience in this field", p.63).

Voici un extrait de ses commentaires extraits de l’article et se rapportant à l’examen de passage de grade. Les points suivants sont particulièrement examinés par Ogura Sensei. Cette partie de l’article (p. 63) est traduite avec l’aimable permission de Taiku to Sports Shuppansha.

Grade de l’examiné Qualités Requises et Exigences Spécifiques à produire lors de l’Examen
Sho (1) dan Faire montre d’une bonne prestance et de bonnes manières; montrer les attitudes correctes lors des mouvements du sabre (ou du iaito) et dans l’accomplissement des bons kata (forms); les mouvements de base nukitsuke (le dégainer du katana de la saya), kiritsuke (la coupe finale et rapide), et chiburi (dégagement du sang restant sur la lame après la coupe), etc. doivent être correctement montrés.
2 dan Il sera évalué, en plus des qualités requises dans le 1er dan, la capacité de l’exécutant à instiller de la force (mais pas "force brute") dans l’exécution des mouvements du sabre.
3 dan Tous les kata doivent être maîtrisés quasiment à la perfection; il faut avoir appris les bases des positions du ou des opposants imaginaires et prendre les distances les plus appropriées vis-à-vis de ces opposants durant le combat; le candidat à l’examen base ce savoir sur l’étude des références écrites et sur les enseignements de son Maître.
4-5 dan Les standards de qualité du 3ème dan doivent être entièrement satisfaits; de plus, il faudra être capable de montrer que les mouvements du sabre sont le prolongement de l’âme du combattant, face à ses opposants imaginaires; devront être démontrées les qualités inhérentes au mononofu: la sérénité et le calme inculqué, metsuke, kihaku (la détermination sans faille à vaincre), l’unité harmonieuse du ki (energie) - ken (sabre) - tai (corps), la souplesse et le contrôle parfait des mouvements, dans une maîtrise combinée du kokoro et des waza (l’esprit/le coeur/l’âme et les techniques).
6 dan et plus Toutes les exigences précédemment énumérées doivent être satisfaites; seront examiné la maîtrise au combat avec des sabres contre des opposants imaginaires; une bonne connaissance de toutes les références est requise; tous les mouvements physiques seront examinés (du sommet de la tête à l’extrémité de tous les doigts) et qui doivent absolument montrer qu’ils ont "une vie"; Si le waza n’est pas artificiel mais bien accompli dans des conditions réelles - le waza est vivant et présent; On doit également sentir une forme de grâce et de dignité dans le mouvement et dans les non-mouvements.
Ogura Sensei fait remarquer, "Ces qualités dépendent probablement de la profondeur des entraînements de chacun (NdT: de l’implication dans la pratique, le keiko). Quand je juge, j’essaie de me concentrer totalement sur l’esprit comme si, en fait. j’étais en train de combattre le candidat avec de vraies épées (shinnken shobu)."

Ogura sensei - keiko in the dark

Le dojo de Ogura Sensei a été ouvert pour ses disciples. Quand il préparait sa 3ème tentative de passage du 8ème dan, il donnait d’abord le cours (keiko) habituel du soir; après le départ de tous ses étudiants, il éteignait la lumière et entrait à nouveau dans son dojo; après le salut d’usage, il restait à pratiquer à nouveau tout le keiko dans l’obscurité, souvent jusqu’après minuit. Ainsi, il a accompli quelque chose de presque impossible. Il m’a confié ne jamais avoir été fatigué ou avoir eu envie de renoncer au Iaido durant ses 46 ans de carrière en arts martiaux mais, bien au contraire, d’avoir constamment été attiré par le Iai.

Notez bien que le Sensei est contre la "sportification" du Iaido; à l’opposé, il met bien plus l’accent sur les aspects spirituels plutôt que les compétences techniques. Comparée à la population des pratiquants de Kendo, celle des pratiquants de Iaido est beaucoup plus faible, et c’est pourquoi il aimerait promouvoir le développement du Iaido.

J’espère que cette traduction vous sera utile. Je voudrais remercier Jeffrey Marsten pour sa relecture de la version anglaise de cet article. S’il-vous-plaît, continuer ainsi… Gambatte!

Photographie affichée avec l’aimable autorisation de Taiku to Sports Shuppansha.

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Sachié & Raynald